Rosengart..........
Une vieille Rosengart …un tacot comme on n’en voit plus que dans les films muets….
La famille Niepce , ce sont nos voisins du dessous , l’aînée des enfants , Arlette , a 13 ans , c’est une grande , je la soupçonne d’être secrètement amoureuse de papa….elle est toujours à le guetter quand il rentre dans son bel uniforme , je sais qu’il arrive à entendre ses stridents « MEUHH….SIEUHHH…JEANNN !!!!! » sur trois tons qui me hérissent le poil.
Monsieur Niepce est employé à la Direction du Port et il s’est offert une voiture…bichonnée , rutilante , impressionnante.
L’ancêtre trône dans la rue , sur le trottoir , devant le lourd portail de l’immeuble….l’heureux propriétaire ne se fait pas prier pour ouvrir le capot , les portes , le coffre , à la requête insistante de la foule curieuse qui se presse autour du véhicule….le bouche à oreille a fonctionné à merveille , tout le quartier est là , grands et petits , jeunes et vieux ,chacun veut voir , sentir , toucher la pièce de musée.
« Je l’ai achetée pour emmener ma petite famille en vacances !!!...trois fois rien…une bouchée de pain…..nous allons dans le Nord …du côté de Saint-Valéry !!! ..nous dit-il bouffi d’orgueil.
Trois jours durant , j’ai vu la famille au complet charger l’engin . Les valises , la cage du chat , celle des oiseaux…le moindre recoin rempli , colmaté , même le toit , plein de mystérieux paquets dissimulés sous une bâche maintenue par un réseau complexe de cordes et ficelles . ..L’agitation fébrile du grand départ tout proche devenait palpable…une ambiance de cris , de pleurs et de taloches…l’excitation atteignait le comble du paroxysme en cette veille du jour J..
Bien avant l’heure prévue , nous étions tous là , voisins et amis..
Vint le moment des adieux….embrassades , rires , larmes , promesses de cartes postales…femme et enfants se serrent tant bien que mal au milieu de la multitude de paquets hétéroclites….on baisse les vitres , monsieur Niepce glisse la manivelle sous le capot….chacun retient son souffle….un tour…deux tours…trois tours…le moteur tousse…hésite…puis se lance après deux forts éternuements dans un vacarme assourdissant de tôles secouées…
L’estivant range soigneusement son outil sous son siège , vérifie ses compteurs , se cale sur ses coussins , claque sa portière , une main sur le volant l’autre qui nous salue :
« Au revoir !!..Au revoir !!! »…les mouchoirs s’agitent , le monstre s’ébranle à grand renfort de pétarades..…Cinq mètre….Dix mètres…Vingt mètres…
»Au revoir !!!..Au revoir ;!!! »……une explosion plus forte….il s’immobilise dans un ultime et déchirant hoquet tandis qu’une épaisse fumée noire s'échappe du capot…